Il y a quelques semaines, ma petite fille, qui n’est plus si petite en fin de compte, est venue me voir avec le sourire jusqu’aux oreilles :

  • «Mama, aujourd’hui j’ai aidé une camarade qui avait un problème important ».

Ma petite fille avait les yeux brillants, le visage illuminé et cette expression de fierté que j’aime tant voir sur ce visage poupon qui ressemble tellement au mien ! Du moins c’est ce que disent les personnes de notre entourage. Le visage toujours lumineux, elle poursuivit:

«Mama, j’ai aidé une camarade qui a eu ses règles en classe.»

«Waouh ! bravo princesse ! Qu’est-ce qui s’est passé, elle avait oublié ses lingettes ? (Je demande toujours à mes filles d’avoir au moins une lingette dans le sac. Qu’elles soient en période ou pas.)

«Non mama, c’était la 1ère fois et elle ne savait pas comment faire. » Et là, je suis sous le choc! On parle de jeunes filles de 12 ans, donc la petite devrait en principe déjà avoir eu LA CONVERSATION avec ses parents. Alors, Je m’exclame:

«Mais comment ça, elle ne savait pas comment faire?? Sa maman n’en a pas parlé avec elle ?». Mon bébé, qui n’en est plus un, hausse les épaules et me dit:

«Je ne sais pas mama. Ma copine avait très peur. Quand on est arrivées aux toilettes et que je lui ai expliqué ce qu’elle devait faire, elle était en panique et me répétait incessamment qu’elle ne voulait pas mourir. J’ai essayé de la calmer et lui ai expliqué que tout allait bien se passer et qu’elle allait encore vivre longtemps. Je l’ai aidée à se nettoyer, Je lui ai remis la lingette que j’avais dans mon sac et lui ai montré comment la mettre en place. Elle s’est ensuite calmée et nous sommes rentrées dans la salle de classe. Elle a passé la journée à me remercier. Et moi, j’étais très contente d’avoir pu la rassurer et l’aider.».

POURQUOI CETTE HONTE ?

Est-ce qu’on peut s’arrêter une minute pour faire une ovation à mon petit bébé qui finalement n’en est plus un ? Elle a géré la situation avec calme et autorité. Je suis tellement fière d’elle. De sa réactivité, son attitude, mais surtout de la bienveillance dont elle a fait preuve vis-à-vis de son amie. Mon Dieu que le temps passe vite ! Mon bébé a grandi !

J’aurais probablement crié ma fierté sur toutes les ondes si la situation n’était aussi grave ! J’ai remercié ma petite princesse pour son action, je l’ai félicitée pour son attitude, sans oublier de lui rappeler de remplacer la lingette dans son sac. Hey ! Être mère c’est aussi cela: garder les priorités en tête en toute circonstance!

Quand je me suis retrouvée seule dans ma chambre, je ne pouvais cesser de me poser la question suivante : Comment était-ce possible qu’on en soit encore là ? En 2019, une jeune fille s’est suicidée au Kenya après avoir subi des moqueries, parce qu’elle avait taché son uniforme en classe. L’adolescente, alors âgée de 14 ans, n’a pas pu supporter cette humiliation et a préféré s’ôter la vie au lieu de retourner à l’école.

Combien de femmes ignorent l’angoisse ressentie durant cette période ? L’angoisse de voir sa robe tâchée. L’angoisse de la douleur ressentie au bas du ventre. Cette douleur qui arrive très souvent avec les règles et qui peut être terrible pour certaines. Et que dire de l’angoisse de ne pouvoir s’exprimer avec passion sans qu’un homme dans les environs ne nous demande, si tout va bien, si on n’a pas nos règles?

LA SOCIÉTÉ EST COUPABLE

Malheureusement, nos normes sociétales ont grandement contribué à créer cette honte autour du cœur de la féminité. Toutes les restrictions que l’on retrouve dans certaines cultures et réligions par exemple, ou encore les attitudes négatives face aux règles, ont affecté, génération après génération, la perception que les femmes ont d’elles-mêmes durant cette période du mois. Comment en vouloir à une maman qui ne trouve pas les mots justes pour parler à sa petite fille qui grandit si vite ! Cette maman a probablement beaucoup de mal à s’assumer elle-même durant les 5 jours du mois que durent ses règles.

Nous sommes en 2024 et ce tabou est encore très présent. Référons-nous à quelques statistiques pour mieux comprendre la situation :

  • L’ONG Plan International France en collaboration avec Opinion Way ont réalisé une étude sur l’impact des règles sur le quotidien des filles. Au total, une fille sur trois déclare avoir subi des moqueries à cause de ses menstruations. 50% des filles auraient honte d’avoir leurs règles.
  • Selon une étude de I’UNICEF auprès d’élèves du Burkina Faso, 83% des filles sont inquiètes en classe pendant leurs périodes de menstruations et 21% d’écolières seraient souvent absentes de l’école durant cette période.

Ces chiffres sont le reflet d’une société dans laquelle les menstrues sont présentées comme une chose sale, voire malsaine. Dans certains pays, les femmes n’auraient pas le droit de prier et encore moins de faire la cuisine durant cette période, au risque de souiller le repas. Elles sont considérées comme impures durant la période des règles. A l’école, on nous a d’ailleurs appris que lors des menstruations, l’utérus évacue les déchets de la muqueuse utérine et de l’ovule non fécondé. Les règles seraient donc similaires à une eau sale évacuée de l’utérus par un sapeur-pompier imaginaire.

ADAPTER LE DISCOURS POUR BRISER LE TABOU

Et si on essayait d’aller beaucoup plus loin dans la compréhension de ce phénomène ? Et si on donnait une perspective différente à nos enfants, filles comme garçons ?Aujourd’hui la science nous apprend que le fœtus de l’espèce humaine demande énormément d’énergie à la future maman. La nature, si parfaite dans ses œuvres, va anticiper sur le besoin en énergie de la mère en transformant les cellules de la muqueuse utérine en cellules placentaires. Ceci permettrait également de mieux contrôler l’implantation du fœtus. Ainsi, en l’absence de fécondation, on assistera à une régénération de la muqueuse utérine traduite par les règles. Voilà toute la vérité!

Oui, vous me direz: « ben alors! Ce sont quand même les déchets qui sont évacués !». Je vous répondrais qu’il y a une différence entre dire: «Les noirs se sont battus pour obtenir leur indépendance » et dire : « L’indépendance a été accordée aux noirs ». Les mots ont du pouvoir, les mots ont un impact puissant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on dit chez nous qu’on bénit et maudit avec la parole. Les mots touchent l’âme d’une façon qu’on ne peut contrôler. Les mots utilisés pour décrire le cycle menstruel et les règles peuvent changer la perception que les jeunes filles, mais aussi les hommes, ont de ce phénomène exceptionnel !

Oui! Un phénomène exceptionnel parce que, contrairement à la croyance populaire, les règles ne sont pas nécessaires à la reproduction. C’est un phénomène particulier qu’on retrouve chez l’espèce humaine et uniquement chez certains grands primates. Alors oui, vous pouvez dire à votre fille à quel point elle est exceptionnelle! Il est temps pour nous d’adapter le discours afin de briser le tabou!

Dans quelques jours la journée internationale de la femme sera célébrée par les femmes du monde entier. Notre mission première est de travailler à s’assurer que les drames comme ceux du Kenya ne se reproduisent plus !

1 réflexion sur “Oh mon Dieu ! J’ai taché ma robe!”

  1. J’ai lu et ressenti beaucoup de fierté envers la petite: la générosité dont elle a fait preuve est admirable. C’est un monde avec ce genre de personnes qu’on se souhaite. Aussi, merci de nous apporter un récit différent, je dirai même un regard tout neuf et tellement plus positif sur la période délicate des menstrues chez la jeune fille. Et même chez les femmes, Ah oui.

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