Il est 8 :46 et cela fait exactement 41 minutes que ma séance d’Afro Gym s’est achevée. Je suis assise dans la voiture en train de pianoter sur le clavier de mon ordinateur. Ce matin j’ai eu le plaisir d’être conduite par un preux chevalier ! Avant de retrouver mon beau chevalier, j’ai eu le temps de m’asseoir dans un des kiosques installés dans l’enceinte du Parcours Vita pour prendre un bol de fruits et légumes frais. Le Parcours Vita est un complexe sportif qui se trouve à Makepe dans la ville de Douala. Ce samedi matin, la foule est dense et se meut d’un point à l’autre du complexe. C’est toujours des moments de réel plaisir, ces courts instants pris pour observer mon environnement et juste en profiter. Les femmes s’activent derrière leurs comptoirs, certaines sont dans la ruelle à l’attaque des clients. C’est le week-end et c’est là que se fait le chiffre d’affaires, alors, il faut s’activer pour avoir le maximum de clients. Plus important encore, une fois assis, s’assurer que le client n’attende pas trop longtemps.
LARME DE JOIE ET BONHEUR ABSOLU
Il y’a environ un an, quand je suis revenue au Parcours Vita, j’étais admirative devant l’ensemble des commerces qui se sont développés tout autour. Ces petits commerces si particuliers à nos villes et qui permettent à de nombreuses familles de subvenir à leurs besoins. Cette ville est juste incroyable ! Et ces habitants sont réellement fascinants et admirables.
Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas là pour vous vendre les bienfaits du sport, encore moins l’importance de la consommation de fruits et légumes frais pour la santé. Si j’ai pris mon ordinateur ce matin pour écrire ces mots, c’est parce qu’encore une fois j’ai vécu une expérience extraordinaire pendant ma séance d’Afro Gym.
L’Afro Gym est une activité sportive qui combine le fitness, la cardio au rythme des danses de chez nous. Durant une heure, le coach montre différents mouvements, que les participants sont heureux d’exécuter dans la joie et la bonne humeur. L’énergie qui se dégage de cet ensemble est impressionnante. On rit ensemble, on s’encourage et se soutient quand les mouvements deviennent difficiles. Ces instants de plaisir et de réel partage durent 30 minutes avant que la séquence tant attendue, celle pour laquelle je brave la fatigue et le manque de sommeil accumulés pendant une dure semaine de travail, ne débute sur une cadence endiablée de Bikutsi, Ambassibé ou ben skin. Ce moment qui semble figé dans le temps dure 15 minutes, pendant lesquelles l’énergie que nous partageons est décuplée ! Les musiciens mettent plus de puissance à chaque note, nos rythmes cardiaques s’envolent, certains participants semblent en transe… Le haut du corps bouge à un rythme effréné, les pieds tremblent. Mais impossible de s’arrêter ! Comment le pourrions-nous ? Les musiciens et la musique ont pris possession de nous ! Le sourire sur les visages dégoulinant de sueur est la preuve de notre soumission totale. Nous en redemandons… Toujours plus de puissance, plus d’énergie.
J’ai coulé une petite larme pendant la séance de ce jour. Surtout pas de panique ! Parce que c’était une larme de joie, de bonheur absolu. Et ce n’était pas la première fois que je faisais cette expérience. Alors je me suis dit qu’il était temps de la partager avec vous.
Je sais, là il y a une dizaine de questions qui se bousculent dans votre tête à cet instant précis. Pourquoi pleurer pendant le sport, qu’est-ce qui s’est passé ? Et peut-être certains d’entre-vous se disent plutôt : « Aka ! Celle-là est restée trop longtemps chez les blancs ! C’est quoi ça ! Pleurer pendant qu’on pratique le sport ? Si ce n’est pas la folie, c’est que c’est encore quoi ? »
S’AUTORISER A ÊTRE, A RESSENTIR, A EXPRIMER
Je répondrais simplement que si s’autoriser à Être, à Ressentir, à Exprimer, c’est être fou, alors je suis heureuse d’être comptée parmi les fous et les folles de ce monde ! Mais revenons plutôt aux circonstances, au pourquoi et au comment ?
Avez-vous déjà assisté à une séance de sport au cours de laquelle la musique est jouée avec nos instruments d’origine ? Le djembé, le balafon, les tambours et autres… Si la réponse est oui, Avez-vous déjà essayé de faire corps avec les instruments ? Avez-vous laissé les vibrations des instruments se connecter à vos propres vibrations intérieures ? Avez-vous déjà eu l’impression que votre corps bouge simplement au rythme de la mélodie, des notes, sans que vous n’ayez à lui demander de le faire ? Je vous pose toutes ces questions qu’en réalité je ne me suis jamais posées auparavant.
La première fois, que je suis entrée dans cette salle, j’ai été comme hypnotisée, attirée par les instruments qui m’appelaient à chaque son volcanique qu’émettaient les musiciens. Tous ces instruments étaient joués dans une symbiose impeccable. La passion et la puissance que ces musiciens mettent dans leur art produit une harmonie parfaite, un moment qui reste suspendu dans le temps. On a juste envie qu’il dure éternellement.
J’ai découvert la joie, le bonheur de l’Afro Gym comme par hasard, je me souviens avoir chaudement pleuré cette première fois, avoir été moi-même surprise par toutes ces émotions ! Mais je suis rentrée si heureuse avec la sensation d’être exactement là où je dois être. J’étais chez moi, à la maison. J’étais alignée.
PETITE ENFANCE ET IDENTITE CULTURELLE
Je vous partage cette expérience unique ce jour, pour vous rappeler à quel point il est important que l’enfant soit connecté à ses racines, qu’il soit conscient de son identité. Cela est extrêmement important pour construire l’adulte qu’il deviendra. Cela est nécessaire pour construire son estime et sa confiance en soi. Cela est primordial pour lui permettre de construire une relation saine avec lui-même et avec les autres.
L’identité culturelle tient une place importante dans le programme pédagogique de la crèche Oasis d’Éveil. Dans notre programme, nous célébrons nos fêtes culturelles et nos héros, qui malheureusement restent encore méconnus.
Aujourd’hui malheureusement, la pseudo-modernité nous a éloignés de nos cultures, et par conséquent de notre essence. Notre environnement quotidien et la perte de valeurs éloignent des enfants l’opportunité de construire les relations intergénérationnelles, nécessaires à la transmission de l’histoire et de l’identité. Le village est démodé et a été déserté par la majorité. Heureusement, nous avons encore des résistants, qui se sont donnés pour mission de maintenir notre héritage culturel. Je suis consciente, qu’il n’est pas toujours évident de pouvoir aller par exemple au village avec les enfants. Mais quand l’opportunité se présente, n’hésitez pas à visiter les fêtes culturelles avec les enfants. Sans oublier nos musées, qui sont riches d’histoires et d’enseignements.
L’Afro-Gym est entrée dans ma vie de manière inattendue, comme par hasard. Mais voilà, le hasard j’y crois plus! Alors, je dirais que je l’ai recherché de façon inconsciente, cette connexion culturelle qui s’est finalement manifestée dans ma vie. Ce que cette activité m’apporte va bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer être possible. Dans quelques jours ce sera mon anniversaire. Les rides au coin de mes yeux s’activent à chaque sourire, le cheveu blanc sur ma tête est en quête de nouveaux compagnons, mais je ne me suis jamais sentie aussi jeune !