– Quand je serai grand, j’aimerais être militaire !

–  Ah! Très bien mon grand! Et pourquoi tu veux devenir militaire ?

Parce que j’aime voir le sang. Et en tant que militaire je pourrai aller à la guerre

Dire que j’étais sous le choc après cet échange est un euphémisme. Je suis restée bouche bée, ayant perdu mes moyens pendant de longues secondes avant de revenir à lui. Ce jour-là, j’animais un atelier pour enfants et le sujet était relatif à la consommation des écrans.

Ce beau jeune garçon de 9 ans au visage si angélique venait de sortir des propos qu’on n’aurait pas attendus de cette petite bouche. J’avais de nouveau devant moi une manifestation de la consommation excessive des écrans chez les enfants. Pire que les écrans en soi, j’avais devant moi les conséquences d’une mauvaise utilisation des écrans. Zuma assis en face de moi me raconta que ses parents avaient supprimé l’utilisation de la TV à la maison. Mais il passait beaucoup de temps à jouer aux jeux vidéo, surtout ceux de ses aînés. Il lui arrivait souvent de jouer à des jeux interdits au moins de 16 ans. Sans oublier les films qu’il téléchargeait sur sa tablette. Les histoires qu’il aimait regarder tournaient souvent autour des combats.

PETITE ENFANCE ET CONNEXIONS NEURONALES

Après cet échange, il est devenu clair pour moi que le mal était bien plus grand que ce qu’on pouvait s’imaginer. Comment en sommes-nous arrivés là, un enfant de 9 ans qui rêvait de devenir un militaire pour avoir l’opportunité de voir du sang ? et pourquoi cet enfant regardait des programmes qui n’étaient pas destinés à sa tranche d’âge ? Je crois que ce jour-là, il n’a pas osé nous avouer que ce qui le motivait le plus de devenir militaire, était l’opportunité de pouvoir utiliser une arme pour tuer de façon légale. C’est terrible à dire mais c’est malheureusement la réalité dans laquelle nous tendons indubitablement.

Depuis de nombreuses années, différents experts essaient tant bien que mal d’alerter les parents sur les dangers que représentent les écrans. Des résultats d’études montrent les conséquences négatives sur la construction de l’intelligence chez les enfants, particulièrement durant la petite enfance. La petite enfance est la période de développement qui va de zéro à huit ans. Durant cette période, le jeune cerveau de l’enfant est en construction. Pour se développer sainement, ce jeune cerveau a besoin d’être nourri au quotidien par son environnement et les personnes qui l’entourent. L’adulte doit comprendre que de manière instinctive ce jeune cerveau affamé va se servir de tout ce qu’il trouve dans son environnement, bon ou mauvais : il n’a pas le choix. Par conséquent, tout, absolument tout ce que l’enfant perçoit dans son environnement, que ce soit un bisou, une toux, un jeu ou un refus, tout cela, crée des connexions neuronales que l’on appelle synapses. Ensuite viendra l’étape où le cerveau devra faire le tri parmi les milliards de connexions existantes pour ne conserver que les plus importantes et les plus utilisées. Donc, plus l’enfant passe du temps devant des programmes violents, plus les connexions liées à la violence se solidifient, sont perçues comme importantes et par conséquent bien conservées par son cerveau. Est-ce que vous voyez où je veux en venir ?

ADAPTER LES PROGRAMMES À L’ÂGE DE L’ENFANT

Oui, la consommation excessive des écrans a des conséquences directes sur le développement du langage chez l’enfant, sur sa capacité à se concentrer et à mémoriser, sur la qualité de son sommeil, etc… Mais au-delà du temps que passe l’enfant devant les écrans, ce que l’enfant regarde est d’une importance capitale. Le drame que nous avons vécu au Cameroun récemment, d’une maman assassinée par son fils, m’a immanquablement ramenée à la conversation rapportée plus haut. Après avoir entendu cette histoire, la première réflexion qui me vint à l’esprit a été : « Pauvre enfant ! » suis-je la seule à l’avoir pensé ? J’espère que non.

Ce que nous semons est important, mais la façon dont nous nourrissons la terre est primordiale pour obtenir le produit idéal. Comment le cerveau de ce jeune homme avait-il été nourri durant la période de la petite enfance ? Loin de moi l’idée de justifier cet acte atroce. Mais traiter les conséquences au lieu de s’attaquer aux causes est la meilleure façon de rester dans un cercle vicieux. S’attaquer aux causes est une tâche fastidieuse dont la récompense est grande. En effet, faire preuve de courage pour poser le bon diagnostic, permettrait d’attribuer le bon traitement avec la possibilité inouïe d’éradiquer le mal de façon pérenne. En tant qu’adultes, parents et éducateurs, quelle est notre part de responsabilité dans la montée des violences en milieu scolaire ? C’est une question qu’on se pose peu, et lorsqu’on a le courage de se la poser, on en ignore la réponse. Pourquoi ? Parce que dans notre société camerounaise, nous n’avons pas été assez sensibilisés à l’utilisation des écrans et à la façon dont ces derniers peuvent nuire à nos enfants et à nous également. On parle ici d’une société dans laquelle de nombreux parents ignorent que les séries, films et jeux vidéo ont une inscription sur la limite d’âge. On parle d’une société dans laquelle les films et séries sont tournés et projetés sur les chaînes du pays sans aucune notification sur la limite d’âge. On parle d’une société dans laquelle les enfants de 5 ans sont autorisés dans les salles de cinéma pour des films interdits au moins de 12 ans.

LA PLASTICITE CEREBRALE

Il est évident que dans l’environnement actuel, se passer des écrans est presque mission impossible. Tout de même, il est conseillé de proscrire les écrans chez les enfants de moins de 3 ans afin de protéger leur développement cognitif. Ici, vous avez quelques recommandations sur une meilleure gestion des écrans. Mais encore une fois, au-delà du temps que passent les enfants devant les écrans, faire attention aux programmes auxquels ils ont accès, contribue à limiter les risques liés à l’utilisation des écrans.

La plasticité cérébrale est un processus extraordinaire à travers lequel notre cerveau a le pouvoir de se façonner, se réinventer et grandir au gré de son environnement. C’est une richesse inouïe ! Mais cette richesse peut devenir un réel danger si elle n’est pas entretenue de la meilleure des manières. Aujourd’hui, nous, adultes, avons la responsabilité de mettre en place les conditions idéales pour permettre aux enfants d’exploiter cette richesse naturelle au mieux et de leur éviter le pire. L’épidémie silencieuse, que sont les écrans, s’est invitée insidieusement dans nos maisons, nos familles. Elle est puissante et déterminée à nous nuire et ce n’est qu’ensemble que nous réussirons à l’éradiquer définitivement.

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