J’ai grandi dans un environnement dans lequel la culture de la peur était naturelle. Au-delà de celle communiquée à l’extérieur, dans le foyer régnait cette ambiance de méfiance vis-à-vis de l’autre. Il ne fallait surtout pas que l’autre sache, il fallait absolument cacher ! Quoi exactement ? En tant qu’enfant on ne comprend pas ! On s’interroge et parfois même on a le courage d’interroger, mais les réponses qui reviennent sont invariables : « Fais ce qu’on te dit et c’est tout ! » Alors, par politesse, par obéissance, on s’y plie, peut-être viendra le jour où on finira par comprendre.
Aujourd’hui, après avoir essayé de comprendre depuis tant d’années ce qui aurait pu justifier ce choix de vie secrète, je crois avoir un début de réponse. Au Cameroun, nous avons une chance inouïe de vivre dans un environnement culturellement riche grâce à notre grande diversité. Chance que nous gaspillons, parce que la société est infectée d’esprits qui alimentent consciemment des divisions à coup de préjugés et, disons-le, d’expériences négatives qu’ont vécues certains. Mais avons-nous conscience de l’impact que cette peur, transmise de façon inconsciente aux enfants, peut affecter leur développement ?
LES ORIGINES DE LA PEUR DE L’AUTRE
La peur de l’autre est une réaction naturelle chez les humains, ancrée dans notre instinct de survie. Face à l’inconnu, notre cerveau peut activer un mécanisme de défense qui nous pousse à être méfiants. Au Cameroun, tout particulièrement, l’une des origines de cette peur qui règne encore aujourd’hui serait liée à la période sombre des indépendances. Cette période durant laquelle une guerre brutale et sanglante a été menée en secret dans le pays par les colons français. Cette guerre a laissé beaucoup de blessures, notamment psychologiques. Blessures que notre génération continue de porter comme un fardeau à traîner toute sa vie.
J’ai eu la chance d’avoir toujours été un esprit libre qui aime les gens et préfère vivre ses propres expériences. Alors, malgré les consignes et injonctions, j’ai fait le choix depuis longtemps de ne pas laisser la peur guider ma vie et encore moins celle de mes enfants. A titre de rappel, le cerveau de l’enfant est façonné par TOUT ce qu’il perçoit dans son environnement, matériel ou immatériel !
- Les attitudes des adultes : Les enfants observent et imitent les comportements des adultes qui les entourent. Des paroles ou des attitudes négatives envers certaines cultures, groupes ou individus peuvent leur apprendre à associer la différence à un danger. Répéter du matin au soir à quel point les filles Bafang sont méchantes simplement parce que vous avez eu une expérience malheureuse avec une fille Bafang, poussera votre fils à associer « Bafang au Danger » et l’une des conséquences sera peut être qu’à l’âge adulte, il ne recherche que les femmes de cette région !
- Les médias : Les représentations biaisées ou stéréotypées dans les films, émissions ou actualités peuvent renforcer des idées préconçues. Nous avons tous un rôle à jouer dans la construction de notre nation et les médias ont probablement l’un des rôles les plus importants. Il est impératif que ces derniers aient pleinement conscience de l’ampleur de leur mission auprès des générations futures.
- Le manque d’exposition à la diversité : Si les enfants évoluent dans un environnement homogène, la rencontre avec des personnes différentes peut susciter de l’inconfort ou de l’anxiété. A New-Bell, l’un des premiers quartiers de Douala, les secteurs étaient séparés par Ethnie, New-Bell Bassa, New-Bell Bamiléké, New-Bell Haoussa et j’en passe. Ces divisions ont eu un impact sur l’intolérance de ses jeunes vis-à-vis des autres ethnies.
L’une des choses que j’aime particulièrement en l’être humain, c’est notre capacité à nous transformer et faire le choix d’être ce que nous voulons pour nous et nos familles. Si comme beaucoup d’autres camerounais on vous a transmis cette peur de l’autre, vous avez aujourd’hui la possibilité de briser la chaîne et de faire la merveilleuse offrande de la découverte de l’autre à votre enfant. Je vois aujourd’hui trop de familles qui vivent recluses sur elles-mêmes, empêchant les enfants de vivre leurs propres expériences et nourrissant une réelle psychose sur tout ce qui est extérieur à leur foyer. Mais comment sortir de ce délicieux piège ?
COMMENT FAVORISER L’OUVERTURE CHEZ LES ENFANTS ?
- Reconnaître et accepter ses peurs
- Prenez conscience de vos peurs : la première étape vers la guérison est toujours celle de poser le bon diagnostic. On ne peut traiter ce qu’on ignore. Alors, n’hésitez pas à vous questionner, quelles situations ou types de personnes déclenchent vos frayeurs ?
- Comprenez que la peur de l’autre est souvent irrationnelle et fondée sur des idées reçues ou des expériences limitées. J’ai été éduquée et formatée pour fuir les Bassa comme la peste, conséquence : ils ont toujours été dans mon sillage et je les adore !
- Acceptez ces sentiments sans jugement, mais engagez-vous à les dépasser. Surtout ne soyez pas dur avec vous-même, vous êtes un adulte qui est la somme des expériences vécues dans son enfance.
- S’éduquer pour combattre les préjugés
- S’informer : Il est URGENT aujourd’hui que nous, camerounais, récupérions notre histoire, afin de nous libérer des chaînes qui continuent de nous emprisonner et de nous empoisonner la vie. Lisez, regardez ou écoutez des ressources qui explorent la diversité des cultures, des croyances ou des modes de vie des différents peuples. Comprendre l’autre est souvent le premier pas pour déconstruire les stéréotypes.
- Remettre en question ses croyances : Cela peut être une étape extrêmement difficile, mais elle est nécessaire. Pour nos enfants, nous devons avoir le courage de questionner TOUT ce que nous avons reçu. Demandez-vous si ce que vous pensez des autres repose sur des faits ou des généralisations.
- Réduire les influences négatives
- Filtrer les médias : Les nouvelles sensationnalistes ou biaisées peuvent amplifier la peur. Optez pour des sources d’information fiables et équilibrées. Il y a des médias au Cameroun que je fais le choix de ne jamais écouter justement à cause de leur ligne éditoriale très biaisée.
- Éviter les discours toxiques : Prenez de la distance avec les environnements ou les personnes qui alimentent constamment la peur de l’autre. Aujourd’hui quand je me retrouve avec des personnes qui tiennent des discours négatifs sur d’autres ethnies, je fais l’effort de les ramener à l’histoire et aux mœurs pratiqués dans ces zones qui sont différents de ceux connus. Et je leur rappelle subtilement l’un des préjugés répandus sur leur propre région.
- Pratiquer l’empathie
- Mettez-vous à leur place : Ceci est un exercice qu’on a tendance à négliger mais qui est très souvent révélateur de notre propre personnalité. Essayer de comprendre les expériences, les luttes et les joies de l’autre, aide à humaniser ceux qui vous semblent différents.
- Écoutez activement : Une qualité et une compétence difficiles à acquérir, tellement l’être humain est naturellement tourné vers lui-même et centré sur ses propres besoins. Faire l’effort conscient d’écouter l’autre sans jugement, peut complètement transformer notre perception de la réalité.
CONCLUSION
Les enfants d’aujourd’hui seront les citoyens de demain. En les éduquant à respecter et apprécier la diversité, nous leur donnons les clés pour bâtir un monde plus harmonieux. Plutôt que de cultiver la peur, aidons-les à voir la richesse qu’apporte l’autre, à développer leur empathie et à grandir avec la conviction que les différences ne sont pas une menace, mais une force.
En tant qu’éducateurs, parents ou professionnels de la petite enfance, nous avons un rôle crucial à jouer. Prenons conscience de l’impact de nos paroles et de nos actions, et construisons ensemble un environnement où chaque enfant se sent en sécurité et valorisé. La clé réside dans la compréhension, l’empathie et le dialogue.