Il est 17h30 ce mercredi soir quand je m’engage enfin dans le trafic dense de la ville de Douala. J’ai pris ce chemin que je connais déjà par cœur et qui mène à la maison auprès de ma famille. Je le prends tous les jours depuis bientôt deux ans ! J’essaye tant bien que mal de jongler entre les camions et motos-taxis dans un combat dont le but n’est pas de gagner. Ici, arriver à la maison en un seul morceau est une victoire en soi. Non loin du carrefour, à nouveau un camion bloque la circulation parce que tombé en panne. Alors, le temps qu’il soit déplacé ou réparé, il va falloir maîtriser l’art du zig-zag pour parvenir à traverser cet obstacle si récurrent. J’entends un klaxon et un moto-taximan qui s’écrie : « Hey madame ! Vous dormez au volant ? Avancez là-bas dis-donc ». J’ai un petit sursaut, mais aussi un sourire qui égaie mon visage. Certains s’offusqueront de cette remarque. Si c’est votre cas, alors cela signifie que vous avez des progrès à faire, si un jour vous envisagez de vous installer dans cette ville. Il y’a là une Lexus blanche avec des vitres fumées qui vient de me dépasser. Je regarde la voiture passer tout en me demandant s’il y a un prédateur sexuel qui s’y cache.

UNE SOCIETE A RECONSTRUIRE ET DES INJONCTIONS SOCIETALES A DECONSTRUIRE

L’affaire #StopBobda secoue la ville, le pays tout entier depuis plusieurs jours. Les débats sont houleux et on frôle la paranoïa. Les avis sont discordants, si certains sont en tout point choqués et réclament justice illico presto, d’autres cependant, estiment qu’il n’y a pas de preuve contre lui, et que d’ailleurs, ces jeunes victimes ont leur part de responsabilités. N’ont-elles pas pris l’argent ? N’y sont-elles pas allées, pour certaines, de leur plein gré ? Mon cœur de mère saigne en entendant ce type de discours. Mais l’éducatrice en moi est dans la retenue parce qu’elle sait que nous sommes tous des victimes. Une sensibilisation de masse est urgente. Nous avons une société à reconstruire et des injonctions sociétales à déconstruire.

Tous Coupables

Ce matin, j’ai entendu dire : « Bof, tu sais, les filles camerounaises ne disent jamais OUI. Elles disent toujours NON et tout le monde sait qu’il faut forcer un tout petit peu pour avoir le OUI ». Quand j’ai entendu ça, j’ai perdu mes moyens. Au-delà des propos, ce qui m’a choquée était de réaliser que c’est vrai. Nous sommes tous coupables ! Nous avons laissé grandir ces mœurs, nous les avons normalisés. Nous n’avons pas appris à nos jeunes filles à dire clairement et fermement ce qui était OK ou pas pour elles. Nous n’avons pas appris à nos jeunes garçons à comprendre que NON signifie NON et qu’il était impératif de le respecter. Nous sommes tous coupables.

LA NÉCESSITÉ DE RESTER VIGILANTS

Je prends cette montée qui me rappelle que je verrai mes bébés dans quelques minutes, malgré mes pensées difficiles, je suis contente de les retrouver, je souris de nouveau. Mais ce sourire s’évanouit très vite quand j’aperçois dans une ruelle sombre, des travailleuses du sexe qui se préparent à prendre position. Sans doute pour les premiers clients qui s’arrêteront rapidement avant de rentrer à la maison. Je suis toujours triste quand je les aperçois, j’essaie toujours de m’imaginer toute la souffrance qui a été la leur. Tous les traumas qu’elles ont subis pour en arriver là ; J’entends souvent dire : « Ah ! Tu sais, c’est le choix de certaines d’entre-elles ». Je refuse de le croire. Je préfère de loin être traitée de naïve.

Je viens de garer dans la cours, j’enlève la clé du contact, je remets mes escarpins de 9 cm, en me disant qu’il faut impérativement que j’aborde de nouveau la CONVERSATION avec mes filles ce soir. Elles n’ont certes pas de smartphone, mais je tiens également à me rassurer de leurs connaissances des réseaux sociaux et sur leur impact négatif. 

Si vous êtes rendus à ce niveau du récit en vous demandant où je compte vous amener, je suis juste une maman qui a réalisé ce mercredi soir, qu’aucun d’entre nous n’est à l’abri et que les mauvaises surprises peuvent survenir à tout moment ! Je vous épargne tous les détails tantôt croustillants et tantôt effrayants de notre conversation mère-filles et vais directement sur la partie qui m’a fait me remettre en question en tant qu’éducatrice mais surtout en tant que mère.

LA PRISE DE CONSCIENCE DES ENFANTS

Au cours de notre échange, nous sommes arrivées à la fameuse question des contenus sur les réseaux. Et juste pour la forme, je demandai à mes filles si elles savaient que les contenus mis sur un réseau social quel qu’il soit, restaient à jamais en ligne, même si elles les supprimaient et qu’elles ne pouvaient plus les voir ? Et la réponse arriva comme un choc. J’étais sidérée, mais je réussis à me reprendre très vite parce qu’il n’était pas question de moi mais de ces jeunes filles qui devaient comprendre le danger qui se trouve derrière ces pages Tiktok, Instagram et Facebook qui en apparence semblent si inoffensives.

Leur réponse

Si l’une semblait connaître la réponse à cette question, l’aînée, âgée de 16 ans, était surprise. D’ailleurs, je crois que l’espace d’un instant, elle a dû remettre en question mes connaissances sur le sujet comme savent si bien le faire nos adolescentes préférées. Si toi aussi, tu es passé par là, alors tu sais qu’il ne sert à rien de leur en vouloir.

Heureusement pour moi, mon expérience en tant qu’éducatrice et mes échanges avec les enfants m’ont préparée à souvent trouver les mots justes afin qu’eux-mêmes, les enfants, arrivent aux conclusions évidentes. Prendre part activement à la conversation, apporter leurs propres idées, les confronter aux nôtres, tout cela les convainc beaucoup plus rapidement que n’importe quelles injonctions que nous pouvons essayer de faire passer. Je terminai donc cet échange avec mes enfants avec le sourire, ravie d’être allée jusqu’au bout. Et surtout heureuse de voir dans leurs regards qu’elles avaient compris. Mais j’étais triste à l’intérieur.

LA REMISE EN QUESTION CONSTANTE EN TANT QUE PARENT

Était-ce de nouveau l’histoire du cordonnier mal chaussé ? M’étais-je plus focalisée sur tous les autres enfants, sauf ceux qui sont dans ma maison ? En effet, depuis bientôt deux ans, voire bien plus longtemps, sensibiliser les parents aux dangers des écrans est un combat que je mène au quotidien. C’est dans le cadre de ce combat que j’ai créé, l’année dernière, le jeu « Les écrans & moi », que vous pouvez télécharger gratuitement sur la page d’accueil de notre site internet.

Alors, vous conviendrez avec moi que réaliser qu’un de mes bébés à la maison ignorait la réponse à cette question fondamentale, a été une réelle surprise, mais cela a surtout été une nouvelle source de remise en question pour moi. Et en poussant mes réflexions plus loin, je réalisais en fait que le jeu avait été créé en pensant aux plus jeunes, enfants et préados. J’étais naïvement partie du postulat que les plus grands, les ados avaient naturellement les réponses et je me suis lourdement trompée. Et il est fort probable que même certains parents ignorent les réponses aux questions posées dans ce jeu.

J’ai voulu partager cette expérience avec vous aujourd’hui pour vous rappeler qu’aucun de nous n’est à l’abri. En tant que parent, il est impératif de se remettre régulièrement en question afin d’accompagner efficacement nos enfants. Parfois, on va se tromper, on sera maladroit. Mais ce n’est pas grave, nous devons continuer d’essayer de faire de notre mieux et persévérer, le pire étant d’abandonner. Abandonner l’éducation de nos enfants à l’école, la nounou et j’en passe. C’est à nous que le Créateur a confié ces êtres. S’il est vrai que, comme on le dit chez nous, il faut tout un village pour élever un enfant, le village ne saurait fonctionner efficacement sans un chef, un guide.

LE ROLE DES PARENTS DANS L’EDUCATION NUMERIQUE DES ENFANTS

Chers parents, le cyberharcèlement est une réalité, une ombre invisible qui plane sur nos enfants, qui parfois s’exposent naïvement sur les réseaux sans réelle conscience du danger qui les guette. Nos enfants sont sur les réseaux, regardent et partagent des vidéos qui leur semblent drôles, légères et innocentes, mais ignorent être des cibles faciles pour les autres qui sont derrière leurs écrans à les regarder tout en imaginant des plans dangereux pour eux.

Le choix de remettre un Smartphone à un enfant est propre à chaque parent. Ce choix est très souvent motivé par des raisons légitimes. Néanmoins, faire un travail de suivi régulier et constant est nécessaire, afin de s’assurer que les fondamentaux sont acquis, et plus important, d’éviter que l’enfant soit pris au piège des réseaux sociaux et de ses fâcheuses conséquences.

Si ce n’est encore fait, je vous réinvite à télécharger notre jeu, « Les écrans & moi », c’est un jeu ludique et facile à mettre en place. Vous pouvez jouer en famille et recommencer tous les semestres, afin de vous assurer que les fondamentaux restent. Je vous recommande de prendre vraiment le temps de le faire, afin de permettre aux enfants d’approfondir leurs réflexions et connaissances sur les sujets abordés.

Je vous dis à bientôt, tout en vous rappelant chers parents, que votre enfant est extraordinaire et a besoin de vous pour mettre en lumière son génie !

1 réflexion sur “Douala, Sexe et Abus”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut