
Vieillir est une réalité inéluctable, et pourtant, c’est une perspective qui effraie bon nombre d’entre nous. Cette peur a commencé à m’habiter à l’approche de ma trentaine ; Je me souviens être longtemps restée bloquée à 26 ans. Quand on me demandait mon âge, spontanément, je répondais 26 ans avant de me souvenir que j’en avais déjà 28. J’avais si peur d’entamer cette nouvelle décennie sans réellement savoir pourquoi.
Dans notre société où la jeunesse est glorifiée, le simple fait de voir apparaître les premiers signes du temps peut provoquer une profonde anxiété. Au Cameroun, cette semaine marque celle des festivités liées à la célébration de la fête de la jeunesse. Cette fête que j’attendais avec impatience durant mes années de lycée, est devenue, au fil du temps, une période de cruauté pour moi et j’imagine pour beaucoup d’autres. Mais d’où vient cette peur de vieillir ? Est-elle uniquement liée aux transformations physiques, ou cache-t-elle des craintes plus profondes ?
Une société obsédée par la jeunesse
Partout autour de nous, la jeunesse est valorisée : dans les médias, la publicité, le monde du travail… On nous vend des crèmes antirides, des régimes miracles, des interventions esthétiques, comme si vieillir était une maladie à combattre. Les rides, les cheveux blancs, les corps qui changent sont souvent perçus comme des signes de déclin, plutôt que comme les marques du vécu et de l’expérience. Cette pression sociale alimente la peur de ne plus être désirable, performant ou même « utile ». Et toutes ces distinctions qui existent pour les jeunes entrepreneurs, les jeunes leaders et j’en passe. Comme si passé 35 ans, on a plus grand chose à offrir à la société. S’il est vrai qu’il est nécessaire de créer les opportunités pour la jeunesse, il n’en demeure pas moins vrai que la société a tout aussi besoin de l’expérience des ainés pour s’élever.
D’ailleurs, dans nos cultures africaines le respect des aînés a toujours été une valeur forte. Leur expérience et leur sagesse a toujours été un aspect important de la construction sociétale. Aujourd’hui malheureusement, épouser les standards occidentaux nous a éloignés de cette valeur essentielle. Par conséquent, au lieu d’accueillir le processus de vieillissement comme un enrichissement de notre humanité, nous le voyons comme un ennemi à abattre par coups de teinture pour cheveux ou potions magiques pour améliorer nos performances.
L’angoisse du temps qui passe et des opportunités manquées
En fin de vie, les êtres expriment pour la plupart des regrets : « j’aurais voulu, j’aurais dû, je devais, si j’avais, etc. » Je pense aujourd’hui que toutes ces opportunités manquées sont l’une des causes majeures derrière la peur de vieillir. En vieillissant, nous prenons conscience du temps qui file et des choix que nous avons faits – ou pas. La peur de vieillir est souvent liée à une peur du regret : ai-je vécu pleinement ? Ai-je osé poursuivre mes rêves ? Il n’est pas rare que certaines personnes traversent des crises existentielles en réalisant qu’elles ont peut-être mis de côté leurs aspirations profondes au profit des obligations du quotidien.
J’ai fini par comprendre que ne pas vivre pleinement, louper l’opportunité de créer de vraies relations humaines, avec nos enfants, nos parents, nos amis, nos frères et sœurs nous rend anxieux quand nous réalisons le peu de temps qu’il nous reste. J’ai fini par comprendre que vivre une vie dans laquelle nous avons abandonné nos rêves en chemin est la chose qui nous effraie tant dans le processus de vieillissement. J’ai fini par comprendre que vivre une vie dénuée de sens, sans pouvoir laisser un réel héritage à l’humanité est l’une des choses qui nous garde éveillés la nuit.
La peur du déclin physique et de la dépendance
On ne va pas se mentir, vieillir s’accompagne inévitablement de transformations corporelles. La fatigue s’installe plus rapidement, certaines douleurs apparaissent, et de nouveaux malaises arrivent à chaque anniversaire, comme ces cadeaux reçus de cet ami qu’on aime détester. Je sais aujourd’hui pourquoi ma maman avait cette forte respiration de soulagement quand elle se couchait au lit à la fin d’une longue journée de travail. Tous ces désagréments que nous vivons en étant au contact de nos proches nous font redouter cette période de notre vie.
Heureusement pour moi, ma super héroïne, maman m’a montré un autre visage du processus de vieillissement. Je l’ai vu se réjouir de chaque journée, vivre une vie remplie de joie, de rire et d’amour, une vie sans regret et avec énormément de gratitude. Je l’ai vue entreprendre, essayer de nouvelles choses et juste prendre le plaisir de vivre sans crainte et avec assurance. Je l’ai regardée en me disant : « Hey ! Je veux être comme elle à son âge ». Et aujourd’hui que je célèbre mon 40ème anniversaire, je ne me suis jamais sentie aussi jeune, aussi belle et aussi forte et confiante en mon avenir et à toutes les belles choses que je vais encore vivre.
Il faut tout de même noter que derrière cette évolution, il y a la peur de perdre son autonomie, de devenir un fardeau pour ses proches. Cette crainte est d’autant plus forte dans notre société, le soutien intergénérationnel se fragilise et la solitude des personnes âgées est une réalité grandissante.
Une rupture avec l’image de soi
L’image que nous avons de nous-mêmes est construite dès l’enfance et évolue avec le temps. Chez certaines personnes, le processus de vieillissement peut créer un décalage douloureux entre ce que nous étions et ce que nous devenons. Accepter que notre reflet dans le miroir ne corresponde plus à notre image intérieure peut être un défi psychologique. Cette confrontation peut être difficile à gérer, surtout lorsque la société entretient l’illusion d’une jeunesse éternelle. Personnellement, je trouve ça tellement triste et dommage de ne circonscrire notre Être qu’à notre apparence physique, nos douleurs dans le dos et nos genoux qui nous jouent des tours… Nous sommes beaucoup plus que cela, et passer à côté de cette vérité, c’est en réalité perdre une partie importante de sa vie avant la fin de celle-ci.
Je pratique régulièrement du sport, je mange sainement et j’aime profondément ! Pourquoi aurais-je peur de vieillir ? Ma CCF et moi, parfois, lors de nos grandes discussions philosophiques, chérissons réellement cette opportunité de vieillir parce que nous réalisons à quel point nous gagnons en expérience, en apprentissage mais aussi en connaissance de soi. Et très souvent, nous exprimons notre désir d’être là dans 5 ans, 10 ans, pour voir l’Humain que nous sommes devenues afin de mesurer le degré de connexion à notre Divin. Nous avons tellement hâte d’y être et c’est merveilleux.
La peur de la mort
Derrière la peur de vieillir, il y a souvent la peur ultime : celle de la mort. Vieillir, c’est se rapprocher de la fin de la vie, et pour beaucoup, cela soulève des questions existentielles profondes. Comment appréhender cette étape avec sérénité ? Pour moi, la réponse est simple : il faut vivre pleinement et se mettre au service de la communauté.
Certains d’entre-nous, quand ils pensent à leur vingtaine n’ont aucun regret ! Pourquoi !? Eh bien, parce qu’ils ont fait tout ce qu’il était possible de faire durant cette période de la vie et ils en gardent de précieux souvenirs. Vivre va nous permettre de créer de précieux souvenirs et se mettre au service de la communauté nous permettra de trouver du sens dans notre présence sur cette terre et notre apport à l’Humanité.
Notre rapport à la spiritualité, aux liens familiaux et à notre capacité à donner du sens à chaque étape de notre existence, sont pour moi notre meilleure chance de profiter de ce merveilleux voyage qu’est la vie couplée à la mort.
Vieillir autrement : et si on s’y mettait ?
Et si nous changions notre regard sur le vieillissement ? Plutôt que de le voir comme une perte, nous pourrions le considérer comme un gain. Avec l’âge vient la sagesse, la connaissance de soi, la liberté d’être pleinement qui l’on est sans chercher à plaire à tout prix. Vieillir, c’est aussi l’opportunité de transmettre, d’inspirer, de savourer les plaisirs simples avec une profondeur nouvelle. Le regard que je porte sur ma vie aujourd’hui rend pour moi difficile le concept de crise de la quarantaine. Pourquoi parler de crise quand tu as la certitude d’entreprendre l’une des plus belles étapes de ta vie ?
La clé pour apprivoiser cette peur réside dans l’acceptation et l’amour de soi à chaque étape de la vie. Plutôt que de lutter contre le temps, apprenons à le vivre pleinement, en embrassant chaque ride comme le témoignage d’une vie riche et bien vécue. Dorénavant, je n’ai plus ce regard de biais quand j’entend dire que l’âge n’est qu’un chiffre ou que la jeunesse c’est dans la tête. Je sais que c’est vrai, parce que c’est devenu ma réalité !